jeudi 11 juin 2009

Pérou : Quand les revendications écologiques tuent

Vingt-quatre policiers, au moins neuf indigènes morts, des dizaines de blessés soignés dans des hôpitaux sans moyens, des rumeurs de fosses communes lancées par un religieux : comment en est-on arrivé là, alors que le Pérou semble connaître la période la plus stable de son histoire, tablant sur son développement économique et une croissance du PIB record (9,84%). Croissance du PIB certes, mais à quel prix, deux pistes à suivre dans l’enchaînement d’événements qui amène les communautés indigènes {lien vers http://www.klimofotos.com/lexique.html} de l’Amazonie péruvienne à couper des routes et occuper des stations de pompage de pétrole depuis 60 jours. Le 5 juin, est venue cette absurde charge de police sur un piquet de grève situé dans la « curva del diablo » (courbe du diable) proche de la ville de Bagua au Nord du Pérou {lien vers http://www.lindependant.com/articles/2009/06/07/20090607-AFP-Monde-Perou-le-pays-sous-le-choc-d-39-une-eruption-de-violence-en-Amazonie.php5}. Quatorze policiers y vont y trouver la mort, dix autres un peu plus tard. Ces derniers étaient retenus en otage par des « nativos », qui les ont tués. Avant d’envoyer ses policiers vers une mort certaine, le gouvernement péruvien n’a pas voulu savoir que les conflits s’abordent différemment dans un pays pluriethnique. Car si les communautés sont pacifiques et mènent leurs actions avec leurs seules lances pour le moment, les forces de police ont tiré à la Kalachnikov sur les manifestants, faisant des victimes. Dans la culture Jibaro-Jibaro, l’ethnie majoritaire dans la région de Bagua, la mise à mort de prisonniers en réponse aux décès de leurs frères, fait partie intégrante de la guerre. Quand des populations doivent parfois construire leurs écoles et payer leurs instituteurs, comment leur imposer de connaître les conventions de Genève ?!? Surtout si la civilisation qui les promeut amène avec son arsenal juridique, la pollution, le vol des terres et un véritable ethnocide.

Une origine et un débat constant

Plusieurs décrets de loi sont à l’origine de la protestation amazonienne. Selon le gouvernement, ceux-ci seraient nécessaires pour rendre effective l'application du traité de Libre Echange entre les Etats-Unis et le Pérou (une signature équivalente avec l’Europe a échoué pour le moment). Outre une restriction des droits des communautés indigènes sur leurs terres et divers autres modifications de lois, deux décrets ont une portée désastreuse sur le milieu naturel péruvien.

Un décret promulgant le "système national de ressources hydrique" pourrait mettre agriculture et industrie extractive sur un pied d’égalité en terme d’usage de l’eau. En pratique les choses sont souvent ainsi. Le pot de terre rural n’ayant pas les ressources d’intenter un procès au pot de fer multinational. Reste que légaliser une telle pratique signifie modifier et contaminer bon nombre de bassins hydrographiques. Il est donc légitime de s’inquiéter pour les écosystèmes situés en aval. Imaginons qu’une multinationale canadienne ou états-unienne reverse du mercure à quelques encablures du Mont Gerbier de Jonc et creuse un trou à la place de ce dernier, c’est ce que l’Etat péruvien entend favoriser au nom du sacro-saint développement économique. La crise amplifie le phénomène, dans la mesure où le populisme ambiant requiert des chiffres, positifs si possibles.

Le second décret (DL 1090), favorise la transformation des terrains forestiers en terrains agricoles, une petite ligne précise également qu’il est nécessaire de promouvoir les cultures destinées aux biocarburants (pas très bio dans ce cas). Comment définir un terrain forestier pouvant se transformer en terrain agricole, là est toute la question, et aucune réponse à l’horizon. Le gouvernement tente de rassurer en annonçant que seuls les terrains vaguement boisés seront considérés. José Luis Camino, chef de l’INRENA, l’organisme en charge de la préservation des forêts y va de son avertissement : « quelqu’un pourra engager un tiers pour brûler mille hectares de forêts et ensuite déclarer aux autorités, je sollicite leur changement d’usage ».

A court terme, cette modification de loi risque de déboucher sur une déforestation dramatique de la zone pré-amazonienne et à moyen terme celle de l’Amazonie tout entière. Tout ceci sous l’égide d’un Etat ! Il faut rappeler que l’Amazonie péruvienne est la plus riche en biodiversité du fait des alluvions issues des Andes et que toutes déforestation y est quasiment irrémédiable. Les arbres s’alimentent en effet principalement du dépôt organique qu’ils contribuent à générer. En cas de disparition de ce dernier, ce ne sont qu’herbes rases qui repoussent et les cultures se font à coups d’engrais et de désherbants.

L’irresponsabilité du gouvernement

Ces décrets ne feront qu’amplifier, des pratiques déjà présentes. Au Pérou, on dénombre ainsi 40 conflits par mois liés à la contamination des milieux naturels. Ce mouvement de protestation paraît un « Ya Basta » des communautés, qui trouve un écho favorable à tous les niveaux de la société péruvienne. D’autant plus, dans la mesure où l’exécutif multiplie les maladresses. L’arrivée providentielle il y a deux mois de la grippe A, avait permis de passer sous silence le mouvement. Le gouvernement péruvien n’a daigné recevoir les dirigeants de la principale association indigène de l’Amazonie (AIDESEP) qu’après plus d’un mois de lutte. A la sortie, le premier ministre Yehude Simon se contentait du sempiternel : « il y a des gens intéressés qui les manipulent ». Le mythe du sauvage incapable de se fédérer et de défendre ses intérêts semble avoir la peau dure. Depuis, dans la bouche du premier ministre, les indigènes ont essayé de former un Etat Amazonien indépendant, puis ces derniers jours fomenteraient un coup d’Etat. Le ridicule ne tue pas dit-on, il a pourtant engendré la mort. Car la semaine dernière, quand la majorité présidentielle a décidé d’ajourner le débat autour des deux lois controversées, la réponse a été une intensification du mouvement. Le fatidique 5 juin aura pour le moins permis de reprogrammer ce débat aujourd’hui (mercredi). Quant au leader de l’AIDESEP, Alberto Pizango, il suivra cela depuis l'ambassade du Nicaragua à Lima, pays qui lui a donné l’asile politique. L’Etat péruvien le considère en effet comme l’auteur intellectuel des faits qui ont conduit à la mort des policiers. Précisons également qu’aucun policier ne pourra être poursuivi pour la mort des manifestants, une loi adoptée par le parlement l’an passé l’empêchant.

L’aspect politique

Il est certain que l’AIDESEP n’a pas lancé innocemment cette grève. Elle jouit de l’appui d’une partie des populations locales, aussi oubliées que les communautés indigènes, par le centralisme péruvien. Menée par des intellectuels et des chefs de communautés connaissant pour certains très bien la société occidentale, l’AIDESEP sait parler pour elle-même et adapter sa protestation à la culture occidentale pour séduire. L’un des objectifs clairs est de faire savoir que les indigènes (45% de la population dans les Andes et l’Amazonie) existent au Pérou et développent un discours de revendications. Certes l’Amazonie ne compte qu’un peu plus de 400 000 indigènes, ses dirigeants considèrent malgré tout que les peuples amazoniens possèdent la légitimité nécessaire pour proposer leur vision du développement, dans le concert actuel des initiatives mondiales de préservation du milieu naturel. En outre, les voisins équatoriens et boliviens doivent leurs changements politiques en partie aux mouvements indigènes. Dans ces deux pays, les années 90 ont été le théâtre de nombreuses paralysies et par suite de la chute de différents gouvernements. L’AIDESEP n’en espérait certainement pas temps, mais le gouvernement du président Alan Garcia s’est tiré lui-même une balle dans le pieds. Si cela ne précipitera vraisemblablement pas sa chute, il ressort fragilisé de cet épisode. Au-delà, les événements auront permis de sensibiliser différents secteurs urbains à des problématiques sciemment passées sous silence en temps normal. Il est ainsi intéressant d’observer certains medias, ouvrir des débats sur le sujet, plutôt que de s’intéresser aux traditionnelles péripéties de la Jet-Set locale. Jusqu’alors, Alan Garcia réussissait sans trop de mal à faire passer le message de populations indigènes attardées, refusant de partager leur territoire pour participer au développement économique de la nation péruvienne {lien vers http://www.elcomercio.com.pe/edicionimpresa/html/2007-10-28/el_sindrome_del_perro_del_hort.html}. Aujourd’hui, il sera certainement plus difficile de cacher les pratiques des industries extractives, qui font chaque année des centaines de victimes directes ou indirectes.

De leur côté, les organisations indigènes semblent réussir à s’organiser internationalement afin de s’émanciper des politiques indigénistes de l’ONU et de l’Organisation Internationale du Travail. Les événements péruviens marqueront peut-être une étape importante dans la médiatisation d’une forme de développement privilégiant le bien être et le respect de la terre mère au tout économique. La revendication est en substance : pourquoi ne pas faire de l’avant-garde de l’écologie politique, les acteurs locaux.


Ailleurs sur le web (en espagnol) :

http://notasdesdelenovo.wordpress.com/

http://multimedia.larepublica.pe/main.php?g2_itemId=9000

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