mercredi 18 mars 2009

Pérou : quand le travail informel devient statistiques officielles

Résorber la part de travail informel est le grand défi de la plupart des économies sud-américaines. Tel est le cas au Pérou, où celui-ci représente environ 60 % des emplois selon une étude de la Banque Mondiale et entre 40 % et 60 % du produit intérieur brut (PIB) suivant les estimations. Ce secteur se positionne ainsi comme le poumon économique du pays et un véritable garde fou social pour la majorité des péruviens ne trouvant pas d'emploi déclaré.

Si la légalisation de l'activité économique semblait en bonne voie depuis quelques temps, l'informalité revient néanmoins au cœur des débats. De fait, dans un contexte de crise internationale, la vague de licenciements et de faillites devraient grossir de nouveau les rangs des petites mains invisibles. Le gouvernement de centre-droit d'Alan Garcia a donc décidé de lancer un inédit programme de mesure de la création d'emplois dans les micro et petites entreprises informelles.

Un revirement de situation pour un gouvernement qui, il y a encore peu, minimisait ce phénomène dans l'optique de la signature d'un traité de libre échange avec les Etats-unis. Celle-ci étant notamment conditionnée par des conditions salariales satisfaisantes.


Un héritage de l'indépendance


S'il est une tradition ancrée dans la culture péruvienne, c'est bien la subversion des lois face à l'absence de l'Etat. Depuis l'indépendance au 19ème siècle, le pouvoir liménien créole et métisse, très centralisé, a souvent ignorer l'existence d'un autre Pérou. La rupture a définitivement été consommée dans les années 1970 et 80, quand des mouvements migratoires massifs en partie déclenchés par les violences politiques du Sentier Lumineux et de l'armée régulière, ont déferlé sur les grandes villes. A Lima, les nouveaux arrivants ont souvent du envahir des terrains pour y construire leur logement, recherchant ensuite des moyens de subsistance et découvrant en la subversion de la légalité une condition à leur survie. Au fil des années, la liste des occupations “informelles” est devenue un véritable inventaire à la Prévert : vendeurs de bonbons à la sauvette, menuisiers, remplisseurs de trou de bitume sur les grandes avenues, vendeurs d'appels téléphoniques, chauffeurs de taxis, comptables, etc. Les réalités sont également très variée, le travail chronique des enfants contraste ainsi avec le développement de sagas familiales à succès dans les secteurs du textile ou de la construction civile. Souvent parties de rien, elles ont fait de l'illégalité leur norme. De fait dans les années 80, enregistrer une entreprises prenait souvent plus de 250 jours ! Aujourd'hui, ne voyant pas quels bénéfices tirer de la légalité, les gérants persistent à contourner la loi.

Aussi, la place du secteur informel dans la société péruvienne n'est pas seulement un problème économique, mais participe d'une complexe “attitude contestataire, une rébellion des masses populaires pour affirmer leur présence, survivre, atteindre le bien-être et, surtout, devenir citoyens à temps plein” comme l'écrit le sociologue Jose Matos Mar dans son livre Débordement populaire et crise de l'État.


Des politiques à l'avenant


De leur côté, la plupart des municipalités se sont vues obligées de s'adapter, en régulant notamment le commerce ambulant dans les rues. Pour ce faire, elles ont développé leur propre système de location des espaces publics par tour du soir et du matin, et ferment les yeux quand certains riverains en font de même avec le bout de trottoir devant leur porte. La plupart des commerçants ainsi sédentarisés, se créent leur propre formalité en se regroupant dans de paradoxales associations légales de commerçants informels.

La dynamique qui accompagne ce secteur extrêmement inventif, n'a pas échappée aux banques et autres organismes de prêts, qui ont développé tout une gamme de crédits à la mesure de ce capitalisme microscopique. Que ce soit pour améliorer son poste de vente ou consommer, depuis un an, chaque citadin péruvien ou presque peut faire appelle à un prêt. Ceci souvent à des taux prohibitifs, qui atteignent parfois les 200 % pour des crédits à la consommations sur un an.

Reste qu'au delà de représenter un manque à gagner non négligeable pour l'État en terme de recouvrement de l'impôt, le travail informel est un véritable creuser pour la pauvreté. Inutile de préciser que ces travailleurs ne jouissent d'aucune couverture sociale, vacances ou garantie de leur emploi. La situation est d'autant plus préoccupante lorsque l'on sait que, selon le ministère du travail péruvien, 80 % des emplois créés au Pérou chaque mois sont informels. Ce, que ce soit par des micros comme des grandes entreprises qui profitent de la quasi absences de contrôle. Il y a peu, à la faveur d'un glissement de terrain meurtrier dans un campement, l'on découvrait la situation de mineurs de la région de Puno, travaillant six jours gratuitement et obtenant ainsi le droit de travailler pour leur compte le septième. L'un des actionnaires majoritaires de la concessions minière, étant un congressiste de la majorité présidentielle.

Un constat qui illustre bien à quel point l'informalité fait aujourd'hui partie de tous les secteurs de la vie quotidienne péruvienne, positionnant l'État face à un grand défi : persuader ses administrés de payer leurs impôts, et faire bénéficier toute la population de l'exceptionnelle croissance du produit intérieur brut (9,84 % en 2008), sans que les nouvelles statistiques ne soient une façon de cacher les effets de la crise sur l'économie péruvienne.

Seja o primeiro a comentar

Enregistrer un commentaire

  ©Template by Dicas Blogger.

TOPO